Légendes et réalités - 1 Sidi-Slimane
"....... Et l'on raconte que, la nuit, de longues caravanes de chameaux chargés de charbon, viennent dans la montagne et Sidi Slimane, le maître de ces lieux, commande à la terre de s'ouvrir. Alors, dans l'insondable crevasse béante, au fond de laquelle rougeoie un brasier éternel, les chameliers déversent les charges de leurs bêtes puis s'en retournent vers les pays lointains. La terre se referme et le grand feu souterrain réchauffe l'eau des sources. "
En signe de reconnaissance, de véritables pèlerinages ont lieu périodiquement près des sources brûlantes ; de tous les villages, de tous les douars perdus dans la montagne, à pied ou montés sur des mulets ou des ânes, les fidèles viennent vénérer Sidi Slimane.
Après les ablutions rituelles, ils invoquent son nom dans leurs prières ou dans leurs chants et sur de minuscules brasiers brûlent du benjoin en son honneur, avant de pénétrer dans les bains maures ou les piscines où ils vont baigner leurs corps dans l'eau très chaude, aussi longtemps qu'ils peuvent en supporter la chaleur.
Après de grands éclats de rire, après moult histoires du temps où il était caporal d'ordinaire et sergent, voici ce que m'a raconté le vieux bachaga, ancien officier de tirailleurs, dans le train d'Alger à Oran, un peu avant la petite gare de Hammam-Righa. C'est là qu'il devait descendre pour y faire une cure comme chaque année. Grand mutilé de la guerre de 1914-1918, il m'assurait le grand bienfait des eaux qui, non seulement soignent les rhumatismes, mais ont aussi un grand pouvoir calmant sur toutes les séquelles de blessures anciennes.
Dans mon esprit, Hammam-Righa n'avait laissé qu'un souvenir remontant à 1941, d'une Ecole de Cadres Militaires, organisée, non sans difficultés, en utilisant les bâtiments d'un grand hôtel et d'un hôpital. Grâce à mon compagnon de voyage, je sais maintenant que Hammam-Righa s'appelle aussi Hammam-Sidi-Slimane et que le saint homme Slimane n'est autre que le grand Salomon : c'est lui qui entretient le brasier souterrain auquel se chauffent les eaux bienfaisantes des sources.
Légende, évidemment ; mais seule la légende peut expliquer l'inexplicable.
Qui percera jamais le grand mystère du tréfonds des entrailles de la terre où l'eau joue avec le feu pour donner le jour à ces sources miraculeuses d'où l'eau jaillit presque bouillante. On les rencontre d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord et tout particulièrement en Algérie où elles pullulent.
Les Berbères les utilisèrent dès l'Antiquité dans leur cadre naturel. Les Romains, organisateurs, les captèrent ; thermes et piscines se développèrent au long des marches romaines. Les guerres, le temps, nous en ont légué les vestiges : pans de murs démantelés, mosaïques qui s'effritent et piscines ébréchées envahies d'herbes aquatiques.
L'exploitation française des sources thermales d'Algérie, dont l'étonnante richesse s'avère de plus en plus, n'a jamais connu tout le développement qu'elle méritait. Très modestes, quelques hôtels ont poussé sans réclame dans l'anonymat obscur des campagnes, des villes, pour une utilisation toute locale, réduite le plus souvent aux soins élémentaires de propreté.
Les études récentes de la valeur des eaux et leurs analyses chimiques ne visent que le lancement de quelques stations : Bou Hanifia ( Oran ) , Hammam-Righa ( Alger ) et surtout Hammam Meskoutine ( Constantine ) . Le corps médical algérien est déjà conquis ; seul le snobisme des foules sera le plus difficile à entamer.
Un médecin de mes amis me vantait dernièrement la véritable panacée que constituent les boues et les eaux carbonatées de Hammam Meskoutine où les équipements les plus modernes du thermalisme venaient d'être installés ; mais il ne cachait pas la réticence quasi-générale des malades devant ses conseils d'y aller faire une cure, tant pour guérir leurs rhumatismes que pour y soigner leurs intestins compliqués, paresseux, voire même leurs gorges, nez, oreilles.
" Docteur, ne croyez-vous pas que Contrexéville ou Luxeuil me serait mieux indiqué ? ... " .
Naturellement, la station thermale de la Métropole est une assurance contre l'ennui : le casino, la salle de jeux, les distractions de toutes sortes développées autour du point d'eau sont des garanties que n'offrent point les stations algériennes. En revanche, ces dernières prodiguent le calme reposant de la grande nature, le charme des promenades et des excursions dont s'accommodent assez mal le moral des malades et leur impotence fonctionnelle.
Par A. Bianco
A suivre : Légendes et réalités - 2 Hammam Meskoutine