Retour vers le passé : Vivre à Djémila
Texte de A. Bianco
On remonte quatre siècles d'Histoire en traversant de bout en bout Djémila jusqu'à la porte Nord par la grande rue, le nouveau forum et le Cardo Maximus.
La ville entière n'est qu'un immense dallage parfaitement régulier, merveilleusement conservé ; c'est à peine si , au cours des siècles, de légers exhaussements ou de minces disjonctions se sont produits. Un souci de perfection semble avoir présidé à la réalisation des rues et des places, lieux très fréquentés par la foule des promeneurs, des oisifs et des badauds. Des trottoirs à arcades dont on ne voit plus que les colonnades, permettaient la promenade par tous les temps. Djémila, en effet, malgré ses neiges d'hiver et ses étés brûlants, devait connaître à l'époque, un climat aussi ensoleillé que celui qui dore, aujourd'hui, les pentes fertiles des montagnes, les fonds de vallées et les petites plaines élevées de la région de Sétif où poussent en abondance le blé et l'orge.
Le peuple des colons et des cultivateurs connaissait de nombreux loisirs consacrés à flâner ou palabrer sur les places publiques. La richesse, attestée par le luxe des demeures privées (maisons d'Europe et de l'Asinus Nica) , favorisait l'action des mécènes et des donateurs pour réaliser dans la ville les constructions monumentales qui ont donné ce caractère de luxe et d'élégance marquant les ruines. Sur les places publiques de préférence, se réunissaient les habitants ; c'est donc en ces lieux choisis que devaient s'élever les plus beaux monuments, les plus riches constructions de la communauté , là même où toute l'activité - sociale - politique - administrative et judiciaire - se cristallisait.
Tout l'intérêt de la ville se trouve rassemblé autour du grand forum neuf : on y trouve les constructions les plus belles et les mieux conservées, la plupart consacrées au culte et à la gloire de la famille des Sévères. C'est là que s'élèvent les deux plus beaux monuments de Cuicul, l'Arc-de-Triomphe de Caracalla et le temple de Septime Sévère, qui attirent irrésistiblement le visiteur et forcent l'admiration.
Ouvert sur la voie triomphale, l'arc monumental, de Caracalla se détache plein de majesté et d'élégance sur le fond coloré des montagnes, avec sa double rangée de colonnes corinthiennes encadrant des niches, ses socles massifs, ses corniches et ses frontons triangulaires. Des trois statues qui le couronnaient _ représentant l'empereur Caracalla _ sa mère Julia Domna _ et son père Septime Sévère _ seuls les socles sont demeurés. La dédicace du monument est gravée dans la pierre, au pied même des statues absentes.
De la grande ouverture de ce monument, on découvre en se retournant toute l'étendue du forum que domine, au fond, le Temple Septimien. Une montée d'escaliers à vingt-six marches donne accès à une large plateforme bordée de chaque côté d'une rangée de colonnes portant encore des restes de corniche.
Un second perron conduit au Temple par un portique de six colonnes d'ordre corinthien. Il précède l'immense porte ouverte sur la salle vide. Tout en haut des corniches ouvertes sur le ciel, une colonie de pigeons-ramiers a installé ses pénates. Les statues colossales de Septime Sévère et de sa femme, qui ornaient le temple, ont disparu. Les fragments ont pu être récupérés et sont aujourd'hui rassemblés au Musée.
Au pied du Temple s'ouvre la voie d'allée qui conduit au Théâtre. C'est l'un des plus beaux théâtres de l'Afrique Romaine ; trois mille spectateurs pouvaient prendre place sur les gradins semi-circulaires étagés à flanc de colline. La vaste scène, fermée de hautes murailles, s'ouvre en avant sur sur la fosse des choeurs _aux niches ornées de colonnettes et flanquées d'escaliers latéraux _ . De grands travaux ont été consacrés à la restauration de cet immense lieu de plaisir où j'ai connu l'une de mes plus belles émotions artistiques.
La tournée théâtrale dite " des Villes d'Or " , donnait , en 1938 à Djémila la représentation de " Phèdre " de Racine, _ ce fut bien je crois, la dernière tournée de cette troupe fameuse _ . Un ciel gris avait menacé tout au long des cinq actes, la foule des spectateurs d'une averse glacée, quand, au moment où Phèdre, torturée par le remords de son amour incestueux l'ayant conduite au crime, tournée vers le ciel , prononce ces vers pathétiques : " Et la mort, à mes yeux, dérobant la clarté , Rend au jour qu'il souillait toute sa pureté " ...
A ce moment même, perçant les nuages, un rayon de soleil inonda la scène de sa lumière dorée. Phèdre mourut dans une véritable apothéose, un vrai miracle répondant à l'appel de son coeur déchiré.
par A. B.
A suivre : " Et pour terminer ... (Le Marché - Les Thermes )