Le Chemin des Touristes

Publié le par Michèle Pontier-Bianco

Voir les Gorges du Rhumel ... d'en-bas !

Voir les Gorges du Rhumel ... d'en-bas !

Texte de A. Bianco

Le touriste ou le simple voyageur arrivant à Constantine a un devoir à remplir : aussi blasé soit-il dans le domaine du grandiose, il y a une chose qu'il ne peut manquer d'aller voir de près  et bien mieux que du haut des ponts, ce sont les gorges du Rhumel, vues du fond, en suivant le Chemin des Touristes. Chemin est un bien grand mot pour désigner ce sentier de chèvres courant et zigzagant sur les bords des rochers, parfois même accroché aux parois du roc, où la seule formation de marche possible est la colonne par un. Partout une main-courante permet à ceux qui sont trop sensibles au vertige de se donner une assurance, un réconfort.

Le Chemin des Touristes

Dès la descente amorcée à la hauteur du Grand Pont ( Sidi-Rached ) , on plonge insensiblement dans un monde nouveau qui fait oublier la ville, ses bruits et ses rumeurs. Le mugissement des eaux se précise ; les cris aigus  et les trilles stridentes  d'oiseaux sauvages - les martinets - déchirent le silence ; des pigeons ramiers se livrent à des acrobaties de haute école aérienne, à une rapidité vertigineuse. Des touffes d'acanthes, des buissons et des arbustes, mettent tout au long de la promenade, des nids de verdure reposante. Au fond des falaises escarpées, le Rhumel roule ses eaux à travers le dédale des blocs immenses qui encombrent son lit. 

Quelques pierres romaines traînent encore sur les moignons des piliers d'un ancien  aqueduc et d'un ancien pont. A l'aplomb de la Passerelle Perrégaux, il est un petit détour indispensable à effectuer. Le chemin est bien mal aisé ; il menace ruine en maints endroits mais il paie bien largement de la peine volontairement subie : il mène aux bains Rémès, une piscine recueillant les eaux chaudes qui sortent des anfractuosités du rocher. Ces bains sont peu fréquentés ; ceux de Sidi M'Cid ont " trusté " tous les adeptes de la  natation. Toute la beauté du site réside dans ce petit coin du lit de l'oued, extrêmement resserré en cet endroit.

Les cartes postales anciennes sont une référence. Les mêmes vues sont parfois introuvables, les accès étant devenus impraticables.

Les cartes postales anciennes sont une référence. Les mêmes vues sont parfois introuvables, les accès étant devenus impraticables.

Les eaux décantées se reposent dans de minuscules criques bleu d'azur ; elles paressent entre deux rocs moussus, se cachent brusquement  pour reparaître un peu plus loin en de minuscules cascades ou en filets qui chutent avec mille éclaboussures et jaillissements. Partout l'humidité met des suintements et des gouttières ; des mousses et des lichens y font des taches, des nappes vertes et de longues coulées vert-de-gris ; des bouquets de fougères aux fines dentelures pendent aux fissures humides d'où l'eau suinte goutte à goutte. 

La pente remontée, quelques minutes seulement vous séparent de la grande surprise . Juste au-dessous de l'El Kant'ra, dans le socle de l'ancien pont romain, une porte : d'un côté les gorges, de l'autre et de plain-pied, une vallée encaissée entre les pans de roches, toute verdoyante et plantée d'arbres. Le Rhumel a  disparu sous terre . 

Le Chemin des Touristes

Il faut alors dégringoler des escaliers tortueux, plonger dans les ténèbres d'un colimaçon taillé dans le roc et s'aventurer prudemment sur la minuscule passerelle glissante, où les eaux d'infiltration tombant de la voûte, mettent une véritable averse. 

Une émotion grandiose y saisit tout l'être, étouffant la crainte et l'appréhension du danger : l'immense voûte rocheuse est pleine d'ombre, de viscosités et de fientes d'oiseaux ; pigeons, corneilles et martinets y tiennent leurs repaires inaccessibles, passent et repassent en envolées rapides, planeurs silencieux ou criards.  

Un tunnel gigantesque ouvre sa gueule monstrueuse ;  dans l'ombre, le soleil jette des barres et des nimbes dorés ; des eaux sans origine mettent des cascades plongeant dans le vide et finissant en une pluie irisée qui éclabousse le roc de myriades de gouttelettes bruissantes. Dans le fond, les eaux sombres de la rivière paressent dans leur lit d'où émergent des colosses rocheux, polis par les courants. 

" Ce que dit la bouche d'ombre " - Victor Hugo

" Ce que dit la bouche d'ombre " - Victor Hugo

Brusquement, le ciel bleu reparaît dans le plafond crevé ; un pont naturel étend sa lourde arcade de pierre sous le grand trait fragile et noir de la passerelle de Sidi M'Cid.

Arche naturelle et Passerelle Sidi M'Cid  - ou Pont Suspendu

Arche naturelle et Passerelle Sidi M'Cid - ou Pont Suspendu

La petite piscine sous sa verdure

La petite piscine sous sa verdure

Les falaises s'écartent ; le Pont de Chutes atteint met fin à l'oppression que ressentait notre âme entre ces pans et ces quartiers de roche, immenses et redoutables. 

Nous voici, maintenant, à deux pas des piscines d'eau chaude de Sidi M'Cid. A la piscine olympique, la grande piscine où, en toutes saisons, s'entraînent champions et apprentis-champions de natation, j'ai toujours préféré la petite, la toute-petite , à demi taillée dans la roche, où parmi les mousses, les herbes, les plantes et les figuiers, la cascade naturelle  des eaux chaudes bondit en mugissant. 

A la verticale, le rocher s'élance vers le ciel. Tout là-haut, les croupes titanesques et menaçantes, fissurées, piquetées de verdure, semblent prêtes à quelque cataclysme  de fin du monde . Il faut avoir vu tout cela au moins une fois dans sa vie, une seule fois même suffit pour laisser à jamais  au fond du coeur, au fond de l'âme, un souvenir puissant, ineffaçable d'émotion forte devant la grandeur sauvage qu'aucune ville ne saurait donner avec tant d'âpreté.

Le Chemin des Touristes
Cascades - Passerelle Sidi M'Cid  et ... la masse des rochers

Cascades - Passerelle Sidi M'Cid et ... la masse des rochers

Je ne parlerai pas du reste de la ville, du coeur de la cité, de ses vieux quartiers pittoresques, de ses monuments, de ses places, de ses squares, ni du Musée, ni de son  Hôtel-de-Ville ; tous méritent une visite, un coup d'oeil. Il faudrait pourtant signaler un site touristique malheureusement fermé aujourd'hui, que les services compétents devraient faire ouvrir  à nouveau à la curiosité du monde : c'est ce  lac souterrain où vivent des poissons aveugles et qui s'étale sous la masse rocheuse, en plein centre de la ville. Il est sous la grande place que les vieux Constantinois appelleront toujours " La Brèche "; quels que soient les noms officiels qui lui ont été donnés. 

On atteignait ce lac par l'Hôtel de Paris devenu : Hôtel Laarbi Ben Mhidi

On atteignait ce lac par l'Hôtel de Paris devenu : Hôtel Laarbi Ben Mhidi

Autrefois ouverte au public, cette visite est interdite aujourd'hui, on ne sait  trop pourquoi. Il semble que ce magnifique fleuron d'une ville touristique par excellence, devrait être rendu à tous ceux qui recherchent l'imprévu et le beau, l'âme jamais satisfaite ...

                                                                                                       A. B. 

 

                                                                                                                    

Note : Ce lac a été récemment re-découvert. Bien des Constantinois l'avaient oublié !

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