Les vieux quartiers - 3 et 4
Texte de A. Bianco
3 La vie dans les cours
Le mystère est né dans l'imagination des romanciers qui, brodant sur les réminiscences des contes et légendes venus d'Orient, ont créé, derrière ces façades, les patios où chantent les sources claires, les harems où rêvent des beautés aux seins nus, où bouillonnent des passions romantiques. La réalité est loin, très loin de tout cela : dans ces quartiers populeux et pauvres, derrière ces murs vétustes, la vie s'écoule, difficile, banale et laborieuse. Les patios ne sont que des cours intérieures sans poésie, sans sources ni jets d'eau ; un robinet de cuivre est le plus souvent le seul point d'eau de la maison ; les harems ne sont que des petites pièces puisant directement sur les galeries étagées, un peu d'air et de lumière.
Les mille travaux ménagers se font en plein air, sur les balcons de bois, dans les cours communes dallées ou carrelées. Sur des " kanouns " d'argile mijotent des " chorbas " odorantes, mi-soupes, mi- ragoûts, où le poivre rouge met des arabesques couleur rubis. C'est là que les femmes, accroupies sur les talons, l'ample robe ramenée entre les cuisses, lavent dans de grandes bassines de cuivre rouge, des lingeries aux vives couleurs et des vêtements aux ravaudages savants et extravagants. C'est là encore que jouent des ribambelles d'enfants et que se racontent, au retour des courses faites en ville, les faits-divers et les papotages. Parfois, dans ces arènes, se vident de grandes querelles, à renfort de cris perçants ou d'invectives qui arrachent la gorge, ou de gestes menaçants. Et puis, sur quelques mots grossiers, chacun se renferme et le grand silence retombe sur le quartier.
Mais tous ces spectacles de vie intime se déroulent derrière les vieux murs dangereusement penchés, derrière les lourdes portes aux heurtoirs de métal et l'imagination du passant pourra toujours créer pour ses rêves, la chaude atmosphère des harems de légende et les patios de marbre où chantent des fontaines.
4 Les marchés et les places
Et puis, brusquement, quittant ces rues calmes, silencieuses, presque désertes, voici une petite place, des ruelles en pente, grouillantes et bruyantes : un marché. Et, beaucoup plus qu'un marché, un bazar universel, un caravansérail effervescent où pullulent les marchands et les petits artisans. A chaque pas, un étal, une vitrine, un atelier ou une échoppe se pressent, se resserrent, cherchant leur espace vital, leur petite part de soleil et d'ombre, sous les grands pans de ciel bleu que découpent les bords de toits capricieux.
Parmi les piétinements des gens entassés, le brouhaha des colloques, des cris et des appels, c'est le plus pittoresque des marchés. Chaque renfoncement de mur, chaque couloir, entrée d'escaliers, encoignure, terre-plein ou chaque pas-de-porte est un " hanout " (magasin) , un étalage, un éventaire. On y vend de tout et de rien : bimbeloterie à bon marché, multitude de jouets et de friandises et des soieries brillantes rouges, bleues ou jaune, où brillent des paillettes multicolores, des broderies d'or et d'argent.
On trouve des cigarettes de toutes marques, du tabac à priser et à chiquer ; ils voisinent avec les bonbons de sucre d'orge écarlate, jaune, vert et des cartes postales, des ceintures de pantalon, du papier à lettres. Là, dangereusement empilées ou savamment disposées dans des bassines de tôle, des centaines de petites tasses à café, de minuscules verres à boire le thé, dressent leurs pyramides lumineuses tout à côté des sacs d'épices colorées, de pierres d'encens, de feuilles de thé vert.
Ici, des caisses de dattes sèches, de dattes muscades et des peaux de biques bourrées à craquer de dattes écrasées, soutiennent des corbeilles de fruits et de légumes ; là, sur des quartiers de mouton, des tas de graisse salée et séchée, des bas morceaux, les mouches font de plantureux repas en compagnie des guêpes d'or .
Les boutiques serrées au coude-à-coude alternent avec les inévitables cafés maures et gargotes où l'on s'installe comme on peut sur des bancs instables pour siroter lentement, à bruyantes lampées, le café brûlant ou pour grignoter les brochettes de foie ou de fressure ainsi que les tranches de coeur grillées sur la braise, les poivrons frits, les pois chiches et les " loubias " qui nagent dans les bouillons épicés remplissant des bols de poupée.
Empiétant sur la chaussée, une multitude de marchands ambulants, leurs marchandises déposées à même le sol ou disposées sur des lambeaux de toile ou des sacs, détaillent le pain, le sel, la semoule, les artichauts sauvages, les racines de plantes médicinales, les vieux clous, les boites vides, les boulons rouillés, les ressorts, gonds et serrures de récupération.
Les passages couverts, les voûtes en plein cintre, sont le domaine incontesté des marchands de beurre et d'huile, mais aussi celui des gargotiers. Leurs boutiques n'ont besoin d'aucune enseigne : les fumets viennent à votre rencontre alors que plusieurs coudées vous en séparent. Sous les arcades sombres, entre les piliers ventrus, les marchands sont assis derrière les grandes terrines vernissées débordant de montagnes de beurre frais et les grosses marmites émaillées où stagne l'huile verte. Juste à côté, à demi-aveuglé par l'âcre fumée qui s'en dégage, le gargotier tourne et retourne avec dextérité des douzaines de brochettes grésillant sur la braise, tandis qu'un marmiton chargé de l'approvisionnement, enfile sur de fines baguettes de roseau des morceaux de foie, de mou, intercalés de dés de graisse ; sur des fourneaux cuisent des sauces appétissantes.
Devant chaque boutique, devant chaque étal, ce sont de longs palabres sans conviction : celui qui s'arrête est, le plus souvent, bien décidé à ne rien acheter ; la curiosité - ou la musardise - le pousse de l'une à l'autre des expositions. Il s'arrête, palpe, goûte, questionne. Quant au marchand, plein de philosophie, il sait à quels clients il a affaire ; aussi, questions et réponses sur le prix, la qualité, l'origine, l'usage, malgré toutes les formules de politesse, se disent de part et d'autre avec le même calme, la même nonchalance.
C'est de cette psychologie particulière que naît ce grouillement des rues marchandes. La foule des gens qui s'y bousculent, encombrant le passage de leurs grands paniers et couffins, de leurs sacs et de leurs personnes encapuchonnées, est faite bien plus de flâneurs que de gens pressés de faire leurs achats.
A. B.
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