Fleurs des champs
Texte de A. Bianco
Brandissant sa palette et ses pinceaux, Mars court dans les campagnes, dans le vert des grands prés et des moissons qui lèvent. Ses doigts d'habile barbouilleur fondent les coloris chatoyants des myriades de fleurs sauvages : c 'est une invasion magique et multicolore à dominante de jaune, rose, rouge, mauve et bleu tendre.
Ravenelles, narcisses, silènes, adonides ou " gouttes de sang " , anémones, iris des champs, toute la flore sauvage et libre, infiniment variée, éclate et inonde les campagnes aux premières tiédeurs printanières de l'Algérie.
Dans ces floraisons soudaines, ces nappes colorées et ces camaïeux bigarrés, dans ces traînées multicolores et dans les senteurs mêlées des fleurs odorantes, courent et volent des milliers d'insectes bourdonnants et des papillons blancs.
Rieurs, échevelés, poussant des cris de joie, les enfants font des cueillettes ravageuses, des rafles de fleurs dont ils font des bouquets qui n'iront pas plus loin que le bord de la route. Plus loin, une femme de la ville, accroupie, la jupe tendue à craquer, confectionne son propre bouquet. Elle se redresse et, de sa main libre, relève une mèche folle de ses cheveux dérangés par la brise. Près de la voiture rangée sous les grands arbres verdissants, l'homme attend, résigné et fume des cigarettes.
Par groupes colorés, en lignes mouvantes, les femmes du douar voisin désherbent les cultures, chassent la fleur sauvage envahissante : leurs grands fichus roses, jaunes, alignés à terre au point de départ de leur tâche journalière, forment des fleurs gigantesques oubliées par leurs mains.
Quand elles rentrent le soir, portant sur la tête en équilibre leur énorme cueillette, elles vont, la taille ondulante, le buste redressé, à la manière antique ...
Le goût des gens des villes pour les fleurs des champs ne pouvait laisser indifférents les petits bergers qui passent leurs jours dans les prairies en bordure des routes ; ils surveillent leurs bêtes mais aussi ils jouent à des jeux inconnus de pierres et de brindilles.
Comptant sur la clientèle pressée des amateurs de fleurs sauvages ou de ceux qui hésitent à courir dans la terre molle, humide et gonflée des pluies dernières, eux aussi confectionnent des bouquets multicolores d'anémones, de " gouttes de sang " , de narcisses, de glaïeuls et d'iris des champs qu'ils offrent à bras tendus, le coeur plein d'espoir, au bord des routes.
Pittoresque négoce de campagne, auto-stop d'un genre nouveau. Au bruit d'un moteur, des guirlandes de gamins bondissent des buissons, occupent la chaussée, tendant aux automobilistes des bouquets mauves, des bouquets rouges, des bouquets bleus. D'aucuns ajoutent à leur éventaire aérien, des bottes d'asperges sauvages cueillies sous les lentisques, une alouette tuée au caillou, une grive prise au piège.
L'automobile fonce ...
Les gamins se rangent déçus, leurs bras retombent ...
Et les petits bergers rêveurs retournent à leurs bêtes ou à leurs jeux interrompus un instant ...
A. B.