Aïssaoua
Texte de A. Bianco
" Il n'y a de dieu que Dieu. Mohamed est le prophète de Dieu " . C'est là, la " Chahada " , le credo de l'Islam sur lequel le Prophète (mort en l'an 632) a bâti une religion dont les dogmes sont rassemblés en un ouvrage unique : le Coran, vaste et profonde encyclopédie, théologique, philosophique, morale et même judiciaire qui dicte les principes de la religion mais règle également tous les actes de la vie sociale.
La prière y tient une grande place : cinq fois dans la journée le musulman doit se plier à ses obligations. Après les ablutions rituelles, tourné vers le Levant - direction de la Mecque - le regard vers le ciel, royaume de Dieu, il se prosterne, front contre terre, en récitant les versets consacrés du Coran, dans des attitudes de soumission et d'adoration.
Outre la prière, le Coran impose le jeûne et l'abstinence diurne pendant le mois du Ramadan, le paiement de l'aumône légale - la " zekkat " - à l'Etat qui en assure l'emploi, l'obligation, une fois dans sa vie, d'effectuer le pèlerinage à la Mecque et la guerre Sainte pour la propagation et le triomphe de la Foi et la punition de l'hérésie.
Cette dernière clause ouvrait la porte à l'invasion d'une partie du monde occidental mais aussi à la rivalité de ceux qui, en toute bonne foi ou par intérêt , s'érigeaient en champions de la religion. Elle explique les mouvements schismatiques des Fâtimides, Almoravides et autres ; le séparatisme des rites orthodoxes (hanéfite et surtout malékite) des rites des Kharédjites ( M'Zab) et le succès du mouvement maraboutique parti du Maroc, cristallisation autour de chérifs - les marabouts - de confréries ou " Zaouias " disciplinées , pensant atteindre la divinité par la méditation et l'extase.
Par les chemins ou " tarika ", de pratiques ascétiques conduisant à l'insensibilité cataleptique, les marabouts, les cheikhs, ont su frapper les esprits et grouper dans leur secte les masses populaires étonnées et conquises.
Bien que condamnées par la religion officielle, ces pratiques ont traversé les siècles et la civilisation. De nos jours encore (cf note) elles se perpétuent, frappant de stupéfaction l'étranger qui y assiste.
De toutes les sectes - Ammaria, Kadiria, Taïbia, Senoussia - la plus étonnante est certainement celle des Aïssaoua, aux démonstrations spectaculaires, aux mutilations étonnantes, que la légende entretient et grossit. Comme le ferait une troupe théâtrale, la secte Constantinoise, outre ses séances d'entraînement et d'initiation, se rend volontiers dans les familles riches à l'occasion de fêtes, offrant aux amateurs d'émotions fortes des moments assez terrifiants.
Premiers étonnements
J'ai eu dans ma jeunesse, comme compagnon de table scolaire, un camarade aïssaoua dont je tairai le nom (aujourd'hui huissier dans un gros village de la région de Constantine et toujours aïssaoua). A mon grand étonnement d'enfant, il me montrait, au lendemain des séances d'initiation, ses joues, ses narines, ses lèvres, ses lobes d'oreilles, piquetés de minuscules croûtes de sang séché, partout où la veille, complètement insensibilisé, il s'était enfoncé, épingles, aiguilles à coudre et à tricoter. Il ajoutait à son récit les performances de ses condisciples, avaleurs de verre et de scorpions et de ceux qui, sans la moindre douleur, se perçaient les entrailles et tenaient du feu dans leurs mains.
J'étais horrifié par son discours sincère qui ne manquait pas de me donner des cauchemars ; la véracité m'en fut attestée par mon Père et plus tard, par d'autres personnes. Cependant je gardais au fond de moi une certaine incrédulité de Saint Thomas que je n'avais pas le courage d'affronter ou de vérifier. A. B.
A suivre : A l'âge d'homme, une soirée éprouvante
Note : Rappel . Ces textes furent écrits aux débuts des années cinquante. Mais YouTube montre des groupes actuels.