ARTISANAT

Publié le par Michèle Pontier-Bianco

Mila : La Porte Romaine

Mila : La Porte Romaine

Texte d'Albert Bianco

C'était bien la visite de ruines romaines qui m'avait conduit , un certain jour d'hiver, à MILA qui fut dans l'Antiquité l'une des cités de la  "  Confédération des quatre colonies " avec Cirta, Chullu et Rusicade. Je fus grandement déçu : un pauvre quartier a poussé sur les    ruines . De l'enceinte que fit construire l'Empereur Justinien au VI° siècle,  il ne reste qu'une façade aux énormes blocs disjoints, percée d'une porte en voûte, et dans le fond d'un jardin particulier, une tour démantelée percée de plusieurs ouvertures. 

J'en étais là de ma déception quand un souvenir me revint en mémoire, un souvenir vieux de dix ans déjà. 

C'était à l'époque où l'Algérie coupée de la Métropole, manquait de tout, même d'objets les plus usuels comme les verres et les assiettes. Je me rappelai qu'à cette triste époque, on mangeait dans des assiettes de terre cuite vernissée, " les assiettes de Mila " . Une déduction logique m'amena à conclure que je devais trouver là une poterie. Renseignements pris, je découvris, à la sortie du village, près de la petite église  à tour carrée, un grand bâtiment, une sorte de hangar fermé : La Poterie de Mila. 

S'il est un art ancestral, toujours à l'honneur dans la population musulmane, c'est bien  celui de la poterie. Le " Kannoun "  - ce réchaud en terre cuite à feu de braise - est toujours utilisé, même en ville, dans les maisons dotées du gaz de houille. Quant à la gargoulette, non seulement elle est restée en bonne place, dans les familles musulmanes, mais elle a aussi conquis toutes les familles européennes. 

 

Les formes sont plus variées maintenant

Les formes sont plus variées maintenant

Un bon vieux kannoun

Un bon vieux kannoun

Dans les campagnes, les femmes fabriquent aujourd'hui encore, la plupart des ustensiles de cuisine. L'argile rouge choisie, triée, réduite en pâte, est façonnée habilement suivant des formes classiques, puis cuite dans des fours rudimentaires faits de pierres plates, recouvertes d'un combustible bien particulier : de la bouse de vache séchée au soleil en grosses galettes. Et c'est de cette petite industrie familiale que naissent les fourneaux, les écuelles, les tadjines (grands plats de terre pour cuire les galettes) , les cruches et les amphores qui servent aussi bien à puiser l'eau aux sources ou à la rivière, qu'à conserver les réserves de farine ou de semoule. Certaines régions comme celles de Taher et de l'Aurès, ont acquis une véritable renommée dans la fabrication des poteries kabyles et berbères. 

On s'est efforcé dans tous les domaines et par tous les moyens de conserver et d'encourager l'artisanat local, dans ses formes primitives. 

Et dans le cas particulier de Mila, ceci explique que le grand bâtiment et ses installations - notamment les fours - appartiennent au Gouvernement Général  de l'Algérie. 

L'unique artisan, un véritable  artiste, me réserve un accueil souriant et courtois et me donne aimablement force détails sur sa situation particulière : il travaille pour son compte personnel bien que bâtiment et installations ne lui appartiennent pas. Il pousse la gentillesse jusqu'à faire une démonstration de son art étonnant. Son tour de potier est semblable à celui dont usaient ses ancêtres il y a des centaines et des centaines d'années : un grand disque de bois, une sorte de volant monté sur pivot et mû à grands coups de pied de la jambe droite balancée, transmettant  son mouvement au plateau d'oeuvre.  

Le mouvement est entraîné par les pieds du potier

Le mouvement est entraîné par les pieds du potier

Une boule de glaise jetée au centre du plateau prend sous ses doigts mouillés mille formes élégantes. La terre se soulève, se gonfle, s'écrase, s'aplatit et s'évase, monte brusquement comme un vase à long col puis redescend et se renfle. Un vase est né en quelques secondes. Un coup de fil passé sous la base et voici l'objet prêt à la cuisson. Celle-ci se fait en deux temps dans les grands fours en terre réfractaire où la température est portée à mille degrés. La terre cuite dans un premier temps, reçoit le vernis pulvérisé  - composé de silice et de divers oxydes -  qui, par fusion à un second passage au four, donne aux objets leur apparence émaillée et colorée. La visite de l'atelier montre tous les stades de fabrication des diverses poteries, oeuvres de ce petit artisan qui signe en arabe : Lounissi.

 

Tissage de tapis - Peinture orientaliste

Tissage de tapis - Peinture orientaliste

Un autre art local, très encouragé, est celui de la fabrication des tapis. Des écoles spécialisées, des ouvroirs privés, patronnés par le Gouvernement, inculquent les premières notions de tissage à de toutes jeunes fillettes musulmanes sur des métiers à peine plus modernes que ceux sur lesquels travaillaient leurs aïeules. Les techniques, les dessins, les gestes eux-mêmes, ont été précieusement rétablis puis enseignés.

Retrouvant spontanément les gestes ancestraux (ce qu'on nomme l'atavisme)  les fillettes acquièrent très rapidement une grande dextérité dans l'art de nouer les fils de laine multicolores sur  ceux de la trame, couper, recommencer à l'infini, renverser les fils de trame et continuer ainsi tandis que, sous leurs doigts agiles naissent et grandissent les tapis de haute laine aux dessins classiques qui font la renommée des " Guergour  - Tlemcen - et Souf " et  ceux de la région de Tébessa, d'Alger et d'Oran. 

Touchant l'Artisanat en général, il est intéressant de signaler les splendides collections réunies par le Musée des Antiquités et d'Art Musulman d'Alger , auquel s'attache le nom de Stéphane Gsell, l'actif et scrupuleux savant qui, au début de ce siècle, rassembla les épaves des collectes d'objets d'Art Musulman.

Ce musée fabuleux, perché sur les hauteurs de Mustapha, serré à l'étroit dans ses murs, conserve le plus précieux trésor, les plus belles créations d'un art certain qui fleurit durant des siècles d'un bout à l'autre du Moghreb, du Maroc à la Tunisie, aussi bien sous  l'humble tente des " rahala " (nomades) , que dans les villas mauresques des citadins et les échoppes bruyantes des vieilles ruelles. 

Luttant férocement contre le progrès et les fabrications industrielles, toutes les manifestations de l'Art Musulman ont tenu et tiennent encore ; c'est un devoir national de les maintenir et les empêcher de disparaître. 

Le Gouvernement Général de l'Algérie s'est attaché à leur renaissance dans les écoles artisanales et les ouvroirs dans lesquels sont enseignées les techniques ancestrales de la marqueterie,  des cuivres ciselés (la dinanderie) ; celles de la fabrication des tapis, des nattes d'alpha,  des faïences, des poteries et des haïks brodés.

Et dans l'ombre des ruelles impossibles, les petits artisans anonymes continuent à longueur de générations, les métiers ignorés de l'orfèvrerie du filigrane et des fibules et la confection des babouches et des mules de velours rehaussé de fils d'or et d'argent, pour chausser les pieds rougis de henné des jeunes mariées dans les riches familles. 

Notes

1 La marqueterie ou marquèterie (plus moderne) 

 2 Un tadgine - ou tajine - ou tagine . C'est le plat lui-même  - ou la préparation de viande que l'on y cuit. 

  3 En tissage :  TRAME : fils passés entre les fils de CHAINE 

  4 En ce XXI° siècle il semble, hélas, que l'Artisanat décline ...... 

  MPB                                                        

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article