Fin des Grandes Manoeuvres dans l'Aurès
(Nous avions laissé le Régiment des Zouaves dans l'Aurès, au moment crucial des Grandes Manoeuvres : Alerte ! Branle-bas de combat ! L'ennemi - supposé - étant censé occuper Batna )
Texte de A. Bianco
Alerte. Branle-bas de combat. L'heure des choses sérieuses est arrivée.
L'ennemi occupe Batna - Il a l'intention de remonter vers le nord - A nous de l'en empêcher.
Une lutte sournoise, sporadique, va mettre aux prises nos deux bandes rivales. Harcèlements, coups-de-mains, embuscades, raids, guets-apens, vont hanter les jours et nuits suivants. La chance nous a souri : montée ardue, pénible d'un piton broussailleux, coiffé par la forêt ; installation défensive rapide, camouflage.
Devant nous, entre deux pans de montagne, un sentier muletier rocailleux, malaisé, s'accroche aux escarpements de roches rouges ; un oued encaissé cascade dans un fond de verdure. Par une échancrure de la montagne, on distingue au loin une route blanche coupant la plaine jaunie. Secteur calme, trop calme, si calme que l'ennui commence à nous ronger, poussant à l'imprudence.
Nos reconnaissances n'essuient pas le moindre coup de feu, pas la moindre escarmouche.
Du moins, l'une d'elles nous fait découvrir dans le fond de l'oued, une vasque rocheuse délicieusement ombragée, une vraie piscine naturelle, alimentée par une source chaude très abondante. Dégoûtés de la " drôle de guerre " nous y allons régulièrement faire du nudisme intégral et nous y baigner.
Brutalement, une nuit, ordre de repli. Repli stratégique auquel personne n'a rien compris, mais qui nous jette au bas du piton, puis nous lance, par marche forcée, dans une vallée large et cultivée, jusqu'à une route sinueuse qui monte interminablement. La nuit nous surprend près d'une maison forestière, en pleine forêt de grands chênes, quelque part dans les montagnes de Belezma. Nous passons la nuit à la belle étoile, enroulés dans nos couvertures, mince obstacle au froid qui nous pénètre.
Dans le petit matin brumeux, le repli continue par la route, toute en courbes et en montées, au milieu des grands arbres aux fûts élancés où dominent maintenant les grands cèdres vosgiens.
La route, abandonnée pour une piste à travers bois, nous conduit vers midi au sommet du Djebel Touggour, dans le cadre impressionnant, inattendu, du Pic des Cèdres, à plus de 2 000 m d'altitude.
Je n'avais vu qu'en images les fameux cèdres du Liban, aux troncs énormes, aux ramures étalées largement, aux têtes aplaties. Pour la première fois je me trouvais dans leur ombre bleue, ne me lassant pas d'admirer leurs silhouettes caractéristiques, pleines de majesté.
La chance encore nous favorisait : tout autour de nous le " baroud " faisait résonner les bois de mille pétarades et des caquètements des mitrailleuses indéfiniment répercutés par l'écho.
Nous bénéficions encore du secteur calme, nous laissant tout le loisir possible pour jouir du coup d'oeil merveilleux d'un panorama de forêts insondables couvrant les montagnes sauvages.
C'est là qu'un vrai miracle devait s'accomplir : ce fut l'arrivée inespérée, à dos de mulets, de la " soupe " qui avait failli, plus d'une fois, tomber aux mains de "l'ennemi" , un plat délicieux et chaud à souhait de haricots en sauce dont le garderai toujours le souvenir !
Vers le soir, le clairon de l'armistice sonna dans la montagne. Un grand silence se fit partout ; la poudre cessa de parler.
A la nuit tombante, les " brels " en longues files et pesamment chargés, le campement et tout son impédimenta, nous rejoignirent enfin dans la montagne.
Le camp s'installa pour passer la nuit.
Uns flûte, sortie d'on ne sait quel "barda", égrenait dans la nuit suave, une complainte monotone.
A défaut d'une grande action de guerre, nous venions de vivre l'une des plus intéressantes et des plus pittoresques excursions à faire dans l'Aurès occidental, celle du Pic de Cèdres par la montée du Ravin Bleu.
A. B.