De la montagne à la mer ...
Texte de A. Bianco
Pas une seule fois je n'ai pu découvrir la mer sans être profondément impressionné, agité de cette joie enfantine que je ressens toujours neuve, insensible à la marche du temps ; c 'est toujours la même surprise heureuse de mes plus jeunes années, cette expansion de tout l'être qui retrouve la chose aimée dont il a longtemps été privé : le but lointain que l'on atteint enfin .
Le regard s'y attache intensément, s'imprègne des riches couleurs, des changeantes lumières. Les images moissonnées vont, au fond du coeur, réveiller les émotions endormies et les souvenirs presque oubliés.
La route passe et les dunes de sable doré s'allongent et, dans les moindres échancrures, mes yeux s'abreuvent encore du bleu changeant des eaux.
Mais la côte a disparu ; à nouveau l'océan de verdure nous reprend avec ses bosquets, ses buissons, ses champs et ses jardins. Une montée couverte de grands ombrages, un tournant brutal et voici TAHER, première étape de notre randonnée.
Nous sommes sur le site d'un ancien village de l'époque ottomane. Dominé de hautes frondaisons, un carré de bâtiments sans étages enserre une vaste place plantée de jeunes frênes et de vieux oliviers, coupée par la route bordée de palmiers. Mais, ce modeste village a une activité importante : face à la petite église, le bordj de la Commune Mixte, fait de lui le cerveau administratif d'une grande région naturellement forestière et agricole. Et cela explique " la pénitence " qui nous est donnée d'y stationner près d'une semaine. Grâce à la bienveillante hospitalité de l'Administrateur, je dois avouer que cette pénitence nous fut légère.
Mais une véritable impatience nous faisait piétiner en attendant le saut de quelques kilomètres, devant nous ramener au bord de la mer, à Djidjelli.
DJIDJELLI - l'antique Igilgili Barbaresque, première capitale de la piraterie des Barberousse - , n'est plus aujourd'hui qu'une plage très fréquentée en été, qu'une petite ville provinciale nichée dans les grands arbres verts en toutes saisons.
Au pied des montagnes couvertes de magnifiques forêts de chênes-lièges, entourée des riches vergers et de jardins où l'on cultive les " primeurs " , bordée par une immense plage de sable fin, Djidjelli est une station estivale, particulièrement recherchée des Algériens. Son Casino - trop grand pour une si petite ville - , s'avère trop petit dès l'approche de la saison chaude. On se dispute alors les chambres d'hôtels et les pensions de famille, on se fait recommander, on fait jouer toutes les influences pour y trouver sa place !
Indéniablement, la plage est l'une des plus grandes, des plus jolies et des plus commodes de toute l'Algérie.
Pour rejoindre Bougie, la route en corniche nous conduit, depuis Djidjelli, en suivant le bord de la mer.
Route accidentée s'il en est une, route aux mille virages étroits, exceptionnellement riche en spectacles saisissants et en émotions fortes ; tantôt elle se perd dans des verdures profondes, tantôt frôle les plages dorées, puis s'élève à flanc de montagne. Elle s'accroche par endroits à l'extrême bord des falaises à pic, ailleurs elle perce les rochers d'ocre rouge, de tunnels successifs et aveugles. Tortueuse et capricieuse, elle domine des gouffres où la mer pénètre en se brisant et des gorges boisées où dévalent des nappes de verdure.
Assagie un moment , elle se déroule dans la lande des buissons ou dans des petites forêts de chênes et de pins. Parfois, des groupes de singes effrontés descendent des montagnes , viennent jusqu'à la route et vous jettent au passage leurs plus belles grimaces.
Ami-chemin environ, la route suspendue à la falaise, offre un magnifique panorama sur le golfe de BOUGIE et les multiples indentations de la côte accore : c'est une suite de crocs énormes pointant dans les eaux, hérissés de brisures, nimbés des bleus dégradés des horizons successifs ...
A. B.
Notes :
Djidjelli = Jijel
Bougie = Bejaia