Le palais de Ahmed Bey - (I)
Seconde Edition : des notes, des images en plus.
Texte de Albert Bianco
Le beau palais de El Hadj Ahmed Bey (1786-1851) venait à peine d'être terminé que, dès la conquête, s'installa le Commandement Militaire de la Place ; il ne l'a plus jamais quitté et c'est, aujourd'hui encore, la demeure particulière du Général Commandant la Division et de son Etat-Major. Malgré restaurations et réparations, cette magnifique résidence a conservé intégralement ses aménagements et ses décorations d'origine.
Vu de l'extérieur, l'aspect du palais est peu engageant, modeste et presque sévère. Très nettement se dessine l'assemblage en un seul bloc, de corps de bâtiments différents que nul souci d'unité ne sembla avoir guidé. Animé d'un irrésistible désir d'égaler ce qu'il avait vu en Egypte, El Hadj Ahmed Bey décida de forcer l'admiration de ses sujets par la magnificence et la richesse de sa demeure.
Ce grand projet se heurtait à d'insurmontables difficultés : d'une part, la seule propriété personnelle du Bey consistait en une maison (dans laquelle habitait sa mère) , enchâssée dans un pâté de constructions diverses appartenant à des particuliers qu'il était nécessaire d'exproprier en les indemnisant ; d'autre part les projets grandioses de Ahmed Bey devaient nécessiter d'incalculables capitaux pour leur réalisation.
Le Bey résolut le problème : évictions manu-militari, main-mise sous séquestre des biens, spoliations brutales, le rendirent possesseur d'un immense quartier. La main-d'oeuvre réquisitionnée dut raser les maisons branlantes, pour reconstruire et raccorder avec plus ou moins de bonheur les anciennes et nouvelles constructions.
Par l'intimidation ou la force, toutes les richesses nécessaires aux aménagements intérieurs : colonnes de marbre, carreaux de faïence vernissée, boiseries, peintures, tapis, lanternes etc ... furent pour la plupart prélevées dans les riches demeures des notables de la ville, données de gré ou de force, la moindre réticence étant souvent payée de la vie de l'imprudent raisonneur.
Dès la porte franchie, l'intérieur du palais est un ravissement pour les yeux par le jeu des ombres, des lumières et des couleurs. Toute l'architecture Barbaresque est rassemblée dans le labyrinthe des galeries, des cours, des jardins, des balcons intérieurs des étages et des appartements.
Le marbre recouvre tous les sols et les marches d'escaliers, tant dans les appartements qu'au long des immenses galeries aux arcades portées par de fines colonnes de marbre, tout autour des cours et des jardins.
Le lierre, la vigne-vierge, les treilles, les rosiers, les jasmins et les orangers mettent partout des guirlandes, des tapisseries et des buissons de verdure. Plusieurs fois centenaires, des cèdres s'élancent droit vers le ciel et tendent leurs grandes branches palmées au-dessus des toits.
Tous les murs portent, jusqu'à mi-hauteur, des revêtements de carreaux vernissés aux riches couleurs, d'origine italienne ou tunisienne. Au-dessus se déroule une immense fresque aux dessins naïfs, représentant les étapes d'un long voyage aux lieux saints de l'Islam que fit leur auteur, un certain El Hadj Youssef, à la demande du Bey qui ayant également été à La Mecque, voulait faire représenter son propre voyage.
Chaque ville est peinte avec un réalisme minutieux : maisons empilées, forteresses pavoisées de drapeaux, hérissées de rangées de canons crachant des salves de boulets ; vaisseaux, tartanes et voiliers barbaresques tendant leurs cordages, leurs ancres, leurs voiles ; oiseaux fantastiques, oasis pyramidales, arbres couverts de fruits énormes jaune canari ou rouge sang ; peintures aux grands ramages de fleurs et de fruits entremêlés, aux couleurs éclatantes et variées. Bien que rénovées, ces décorations ont conservé par tradition les teintes initiales où dominent le rouge, le jaune, le bistre et le vert. Les portes, les balcons, les balustrades et la plupart des boiseries - notamment celles des plafonds - portent ces mêmes couleurs chatoyantes de l'Art Musulman.
Les sculptures, les grilles, les gonds de portes en fer forgé sont - de nos jours - d'origine pure. Certaines démontrent une habileté remarquable des artisans de l'époque.
Une particularité marque les deux-cent soixante-dix colonnes de marbre blanc alignées le long des galeries , des patios et des cours : toutes sont dissemblables. Certaines avaient été achetées spécialement en Italie. Seul le gabarit général ayant été donné au commissionnaire dépêché dans ce pays par Ahmed Bey, l'artisan italien apporta dans leur décoration fantaisie ou simplicité. Emballées précieusement dans des caisses capitonnées, elles passèrent la mer puis, portées à dos de mulets ou d'hommes, elles firent sans dommages le trajet montagneux de Bône à Constantine.
Mais, en grande majorité, les colonnes proviennent des riches demeures turques de la ville, ce qui explique leur grande diversité, qui ne nuit en rien à leur beauté ......
Note : Barbaresque signifie " Qui appartient aux peuples de la Barbarie " , c'est à dire aux peuples de l'Afrique du Nord. A. Bianco
A suivre ...
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NOTES de M.P.B.
Le peintre Horace Vernet (1789-1863) a effectué plusieurs voyages en Algérie à la demande du roi Louis-Philippe et en 1837 il visita le Palais qui, à peine achevé, rayonnait de toutes ses beautés. Il résuma ainsi tout ce qu'il avait vu, donc ce que l'auteur de l'article vous a détaillé. "Figurez-vous une délicieuse décoration d'opéra, tout de marbre blanc et de peintures aux couleurs les plus vives, d'un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d'orangers, de myrtes etc ... enfin un rêve des mille et une nuits" .
On insiste toujours sur le contraste que présentent l'extérieur et l'intérieur du palais. On comprend que tout cet assemblage de maisons dissemblables ne pouvait que donner un mur étonnant avec des fenêtres petites et irrégulières ! On a aussi émis l'idée que l'on préférait ne pas montrer l'intérieur d'une maison surtout s'il est fastueux ... C'est plausible ...
Pour agrandir ses possessions et collectionner objets et meubles précieux, le Bey jetait son dévolu sur les belles demeures. Il faut reconnaître qu'au début il versait des dédommagements ou procédait à des échanges. Mais cette façon courtoise fut éphémère ! Il lui tardait tellement d'amonceler des beautés diverses qu'il se mit à agir avec brutalité : on a vu la réaction du Bey d'Alger ! Et cette boulimie le reprit ...
Cette étonnante fresque se situe dans la galerie qui entoure "Le Grand Jardin" . Comme dans un vieux conte "Les voyageurs racontent ..... " comment l'Intendant Général du palais se vit intimer l'ordre, par son souverain-maître, de trouver un peintre qui couvrirait de peintures les murs trop nus de ce pavillon. L'Intendant comprit qu'il avait intérêt à en trouver un mais, hélas, il ne put trouver un vrai artiste dans la ville ... Le désespoir commençait à l'envahir quand il se souvint qu'un "chien de chrétien" (sic) croupissait dans une geôle depuis deux ans. Il le fit venir, lui donna un matériel de peintre, lui expliqua ce que voulait le Bey et le menaça de vingt-cinq coups de fouet s'il ne lui montrait aucune peinture dans les trois jours. En cas de réussite on lui rendrait sa liberté.
Je cite l'archéologue M. Féraud (1867) : "Mais votre seigneurie se trompe, lui dit avec effroi le malheureux prisonnier, je n'ai jamais peint ni dessiné de ma vie, je suis cordonnier de mon état et je n'ai jamais manié d'autre instrument que l'alène et le tranchet " .
"Le pauvre cordonnier passa les deux premiers jours entre les larmes et les coups de fouet mais sans toucher aux brosses et aux couleurs. Cependant le troisième jour, la réflexion lui vint avec les coups de fouet . Il se mit à brosser sur les murs des images représentant des bateaux, des arbres, des canons comme en ferait un enfant à l'école quand il dessine "des bonshommes " .
La comparaison est bonne car de tels dessins sont souvent naïfs , puis les enfants les remplissent de couleurs. C'est ce que fit le cordonnier. On imagine son angoisse en attendant le verdict de l'Intendant ! O surprise ! O joie !!! Ces dessins plurent à l'Intendant et au Bey ! Le cordonnier obtint ainsi sa liberté .
On ajoute que le Bey disait à ses familiers : " Ce chien de Chrétien voulait me tromper mais je savais bien que tous les Français étaient peintres " (!!!)
Cependant M. Féraud laisse entendre que d'autres aussi ont réalisé ces peintures ...
Nous verrons comment se déroulait la vie dans ce palais de rêve et ce qui l'a fait revivre de nos jours ...
M.P.B.
A suivre ...
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