Visite du vieux Biskra

Publié le par Michèle Pontier-Bianco

Biskra - Le Marché

Biskra - Le Marché

Seconde édition - Des images, des notes en plus.

Texte de A. Bianco

La chance nous sourit à nouveau en la personne d'un grand garçon sympathique de ma connaissance, médecin de la Santé de la localité qui, en pleine avenue, au pied de la statue du Cardinal Lavigerie, s'extirpe d'une auto minuscule et vient aimablement à nous. Justement une consultation l'appelle dans le Vieux Biskra, caché dans l'immense palmeraie ; il s'offre de nous y conduire car " c'est à voir " . Nous nous empilons dans son joujou et nous voici déjà sous les palmiers.

Statue de Monseigneur  Lavigerie

Statue de Monseigneur Lavigerie

 

Sans ce guide opportun, je n'aurais jamais osé m'aventurer aussi profondément dans ce dédale compliqué, dans ce village perdu où toutes les rues, toutes les maisons se ressemblent : d'un côté, un mur de terre battue limitant une propriété, une plantation de palmiers ; une " séguia " large et tortueuse où court une eau abondante, des passerelles faites de demi-troncs de palmiers sautant d'un bord à l'autre. De l'autre côté, une suite ininterrompue de petites maisons de pisé, toutes semblables, toutes aussi vétustes, aussi écrasées ; entre les deux, la chaussée juste assez large pour laisser passer notre auto-miniature qui, dans un nuage de sable et de poussière soulevés, se taille à grands coups de clackson un passage parmi les habitants.  

Visite du vieux Biskra
Visite du vieux Biskra

Les enfants courent pour nous voir ; de vieilles femmes en bleu et noir, assises devant les portes, nous regardent passer de leurs yeux malades. La rencontre d'un âne chargé est catastrophique. Tout ici est de la même couleur ocre jaune : les murs, les enceintes, la chaussée, la poussière et l'eau-même qui court dans les séguias. Au-dessus de nos têtes, les chevelures immenses des palmiers tressent une voûte sombre, avec des transparences, des éclaircies qui laissent voir le bleu du ciel.

Visite du vieux Biskra

Un apéritif dans le salon de l'Hôtel Transatlantique, plein de tapis, de silence et de solitude met fin à cette équipée. Après une cigarette et une anisette, je suis stupéfait d'apprendre qu'entre les vieilles maisons de pisé que nous venons de voir et ce magnifique hôtel où nous nous reposons, il n'y a de différence qu'un crépissage. On m'assure, en effet, que cette grosse construction  élégante, aux lignes d'architecture mauresque, n'est que torchis, pisé, d'une technique de fabrication semblable a celle des maisons du Vieux Biskra mais seulement crépie au mortier de chaux.

Hôtel Transatlantique

Hôtel Transatlantique

Ce matériau d'argile, de sable et de paille hachée, pétris ensemble à l'eau, façonnés en moellons comprimés et séchés au soleil, est la plus sûre garantie d'isolation thermique des constructions du sud ; elle assure le mieux une fraîcheur relative aux pièces d'habitation quand la température extérieure atteint et dépasse 45° à l'ombre.

Fabrication du pisé

Fabrication du pisé

La toilette du Dimanche matin, à l'eau froide, est un vrai supplice qui me fait regretter le chauffage central et l'eau chaude de notre " chez-nous " . Seule, la perspective d'une expédition vers M'Chounèche, force et précipite notre sortie matinale de l'hôtel. Un temps radieux nous accompagne le long de la route large et plate qui, fonçant au travers du Massif de l'Aurès, nous conduit à Arris.

Arris  ( dans l'Aurès ) - Willaya de Batna

Arris ( dans l'Aurès ) - Willaya de Batna

Autour de nous, le désert caillouteux, ocre, jaune et rouge, se perd sous une croupe rocailleuse, traverse une petite palmeraie. Pas une seule rencontre sur ce chemin sauvage si ce n'est quelque bédouin poussant devant  lui un mulet lourdement chargé ; par moments, une légère angoisse me monte à la gorge, cauchemar de la panne ou de l' erreur d'aiguillage ... 

Un tournant, une surprise : M'Chounèche ......

Fillettes en promenade - Etienne Dinet - 1861-1929

Fillettes en promenade - Etienne Dinet - 1861-1929

NOTES de MPB

Voir " Les gorges de M'Chounèche " - Article du 7 Février 2022  : Retour à Biskra " 

Qui était Charles-Martial Lavigerie (1825-1892) ? 

La statue du Cardinal, près de  laquelle était fixé le rendez-vous de Biskra, existe -t-elle encore  ? Oeuvre de Falguière, elle traduisait le dynamisme du personnage. Le mouvement du crucifix littéralement brandi vers le ciel est quelque peu étonnant mais cela correspondait à la grande idée de sa vie : étendre, par les Missions, la parole de L'Eglise sur une grande partie du monde. Il faut reconnaître que, dans les siècles qui nous ont précédés, l'idée fixe de l'Eglise - ou des Eglises - des pays colonisateurs, était de convertir les populations.

Charles Lavigerie

Charles Lavigerie

Devenu en 1803 le plus jeune évêque de France, Lavigerie avait dans l'idée de concilier l'Eglise avec le monde moderne, il s'engagea dans de délicates  négociations lors des fameux Décrets sur les Congrégations, la République anticléricale voulant expulser  les Ordres (1880) . Il réussit à rallier les  Catholiques à la République au cours du fameux " Toast d'Alger " en 1890. 

Il nous faudrait encore parler de sa lutte contre l'esclavage, de ses voyages au Moyen-Orient, de son action en faveur des chrétiens d'Orient mais  ce qu'il a fait en Algérie nous touche de plus près.

En 1866 il était Archevêque de Lyon et Primat des Gaules ; quand Mac Mahon lui proposa Alger en Novembre 1866, il accepta car c'était pour lui la possibilité d'évangeliser l'Afrique. Et sa première grande idée, était de faire revivre une certaine Afrique du Nord Chrétienne  qui " avait existé " du II° au XII° siècle ! Il était évident que cette attitude ne pouvait qu'engendrer une lutte sourde avec Mac Mahon : lequel tolérait  l'Eglise, oui, mais pour la pratique unique des Français, militaires, colons et leurs familles. Quant aux Musulmans , il n'était pas question pour eux d'abandonner l'Islam, leur identité. 

Père Blanc

Père Blanc

Le conflit dégénéra en 1868 ( après la terrible année 1867 marquée par le choléra et la famine en Algérie ) . Et ce fut le moment où Lavigerie se rendit, enfin, compte qu'il faisait fausse route. Sa grande oeuvre fut la création de l'Ordre des Pères Blancs ( et  des  Soeurs Blanches ) . Là, nous étions  dans des oeuvres de Bienfaisance et des Oeuvres Sociales en faveur de populations fort  pauvres.   Les conseils que Lavigerie donna à ses missionnaires étaient inédits : " Parlez leur langue, mangez comme eux, habillez-vous comme eux ! " . L'uniforme des Pères Blancs devint  donc gandourah, burnous, chéchia mais le rosaire en sautoir : cf la photo. 

Ailleurs, en divers pays d'Afrique les Missionnaires réussirent des conversions : voir des prêtres Africains est assez courant et, également, voir des pasteurs Protestants. Ils payèrent parfois de leurs vies un lourd tribut selon les époques ... 

Lavigerie fut nommé Cardinal en 1882. De 1884 à 1892 il était Archevêque de Carthage et Primat d'Afrique. 

 Il fut Vicaire Apostolique du Sahara et du Soudan de 1891 à 1892.  ... entre autres nominations ... 

Il lutta contre l'esclavagisme ; rapprocha les Eglises d'Orient. 

Il mourut à Alger en 1892. 

Actuellement, ses missionnaires travaillent dans 42 pays. 

Il reposa à Saint Louis de Carthage puis, en 1964, à Rome. La statue de Biskra fut transférée au Cimetière Chrétien ou aux Parcs Municipaux - (?)  de Biskra. La statue de Tunis fut " découpée " par les Pères Blancs ...  

Ces quelques lignes étaient pour rappeler le souvenir de cette grande figure ...

                                    M.P.B.

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