Café Maure

Publié le par Michèle Pontier-Bianco

Café Maure - 1844 - par F. W. Moritz - Peintre Suisse

Café Maure - 1844 - par F. W. Moritz - Peintre Suisse

Texte de A. Bianco

" Emploi Réservé " au vieux soldat chevronné, droit concédé aux veuves de militaires tués à l'ennemi, le café maure est une exploitation rentable qui, malheureusement, perd de plus en plus son cachet de " couleur locale " . Concurrence, modernisme et restrictions se liguent aujourd'hui pour tuer ces sombres refuges d'antan où flottait l'arôme du délicieux poison dominant les lourdes fumées de tabagie.

Pour l'amateur véritable, café et cigarettes vont de pair ; les bruyantes lampées de la boisson brûlante doivent alterner avec les bouffées de vapeur de tabac ; tout cela coupé, de temps à autre , de pauses silencieuses pendant lesquelles l'esprit vagabonde et rêvasse.

C'est ainsi que doit se boire le café à la turque pour que le corps et l'âme y trouvent chacun son compte et pour que le marc ait le temps de se déposer au fond de la tasse minuscule. C'est là un cérémonial absolument rigoureux et vous ne sauriez imaginer un musulman siroter autrement son " kahoua " , pas plus qu'on ne saurait représenter un détective de " romans policiers " résoudre une énigme autrement qu'en fumant des cigarettes américaines tout en  lampant de grands verres de whisky !

Chaises et tables vertes en bois ou en fer, bancs rustiques, tendent de plus en plus à remplacer les grandes nattes d'alpha et les petites tables rondes et basses qui, avec les grandes et larges banquettes à dossier, constituaient tout l'ameublement des cafés maures.

Les clients s'asseyaient, jambes repliées sur les nattes ; leurs chaussures s'alignaient près de l'entrée sur un espace dégagé réservé à cet effet. Aux chaudes après-midi et soirées d'été, les nattes et les grands bancs étaient sortis en plein air, sous les ombrages ou dans les ruelles ventilées et arrosées. Des touffes de basilic ajoutaient leur parfum suave à l'ambiance bien particulière de ces heures lourdes de farniente et de rêve.

Café Maure - par E. Fromentin - 1820-1876

Café Maure - par E. Fromentin - 1820-1876

Le percolateur nickelé, moderne, le large comptoir à l'européenne, tuent la charmante officine d'autrefois où se préparait le délicieux et brûlant breuvage. C'était une alcove en ogive, taillée en avancée, couverte de carreaux en faïence vernissée aux ramages colorés. Un feu de braise y sommeillait sous deux marmites de tôle dans lesquelles chauffait l'eau.

Le " kaouadji " trônait devant ce sanctuaire dont nul autre que lui ne pouvait s'approcher. Avec les gestes méticuleux de praticien et la gravité d'un prêtre, il préparait dans les règles de l'art la boisson qui faisait toute sa réputation et sa renommée. Il dosait méticuleusement la quantité de café grillé à point et réduit en poudre impalpable par la " mouture " , puis il la versait dans l'eau bouillante d'une petite cafetière à long manche calée dans les braises. Une seconde et rapide cuisson donnait le temps de l'infusion et, enfin, le mélange odorant allait remplir la tasse minuscule. Tous ces gestes rituels revêtaient un caractère de cérémonial pittoresque qui tend à disparaître, surtout dans les villes.

La radio hurlante remplace maintenant les phonographes nasillards de ma jeunesse.

Seules les cages de roseau peuplées de chardonnerets et de rossignols, seuls les pots de basilic odorant, ont gardé leur place aux devantures peintes en vert.

Envahissant, le café maure déborde sur les trottoirs et les rues. Ses clients assidus y vivent de longues heures à poursuivre leurs rêves intérieurs, à jouer d'interminables parties de dominos, de dames ou de trictrac, tout en humant et buvant le thé et le café brûlants, tout en fumant force cigarettes.

Lorsque la pleine nuit envahie de sommeil tombe, les grandes portes se referment sur les derniers clients restés là pour dormir dans la lourde chaleur où traînent l'arôme du café et les fumées de cigarettes. 

 

Au Café Maure - par H. Lazerges - 1817-1887

Au Café Maure - par H. Lazerges - 1817-1887

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article